
La modernité dans l'art africain d'aujourd'hui - Modernity in african art today -
Editeur : MAMA éditions
Date de parution: 2009
Nombre de pages: 104
Langue : Arabe - Français - Anglais
Quand les armées coloniales déferlèrent sur les “ contrées” du sud, voulant ignorer quelles étaient constituées en états, royaumes et entités, certes différents du modèle européen mais possédant toutes les prérogatives de légitimité et de souveraineté, elles se livrèrent à une rapine rarement égalée dans l’histoire de l’humanité. Dans les richesses confisquées, figuraient en bonne place les œuvres d’art des peuples nouvellement asservis.
Eminent paradoxe quand le discours qui justifiait cette accaparation se fondait justement sur l’absence ou la pauvreté de culture de ces peuples.
Toujours est-il que les collections publiques et privées d’Europe s’enrichirent de ces butins et que, deuxième paradoxe, l’art occidental allait en être bouleversé.
Si ces œuvres caressaient l’égo d’officiers en mal de gloire, elles apportaient aux artistes novateurs la preuve que l’art pouvait s’assumer à travers des visions et des expressions complétement différentes que celles prônées par le classicisme. Ainsi ,Picasso, père de l’art moderne, sut voir aussitôt dans les masques africains, alors dits « nègres » , une formidable interprétation symbolique et une audace d’exécution et de forme qui l’aidèrent a formuler les premières ébauches du langage artistique nouveau. Cette inspiration émérite montrait l’extraordinaire modernité, troisième paradoxe, des arts dits primitifs que l’on nomme aujourd’hui « premiers » par une fausse pudeur qui confine à l’euphémisme.
Par la suite, l’art moderne puis contemporain s’est régulièrement abreuvé, souvent avec sincérité, parfois par effet de mode, aux sources picturales africaines, asiatiques ou indo-américaines. On pourrait citer ici toutes les tendances qui s’en sont ouvertement réclamées, comme certains tenants de l’art moderne américain qui surent voir dans les motifs et couleurs des tribus indiennes, une profondeur et une liberté artistique incomparables.
Aussi, ceux qui aujourd’hui, en Afrique ou ailleurs, voient à travers les expressions contemporaines de leurs compatriotes une sorte de trahison envers l’authenticité ancestrale, se trompent singulièrement et produisent un quatrième paradoxe. Ils se trompent tellement que la deuxième édition du festival culturel panafricain d’Alger ne pouvait se tenir sans mettre en valeur les artistes africains contemporains qui, désormais, se sont distingués à l’échelle mondiale.
Ces artistes ont, par ailleurs, mis en oeuvre des démarches artistiques qui, loin de négliger l’héritage culturel africain, le réinterprètent et le renouvellent dans un merveilleux mixage des techniques les plus séculaires aux procédés actuels de création tel que l’art numérique. En ce sens, ils incarnent bien la volonté de rester soi-même en empruntant sans complexe-ainsi que le fit toute civilisation se construisant-les ressources, méthodes et instruments élaborés par d’autres.
Les fondateurs de l’art contemporain universel l’avaient compris : les productions traditionnelles du patrimoine africain, même les plus anciennes, présentent de nombreux aspects de modernité. Il n’est donc pas étrange que des artistes d’aujourd’hui y puisent des éléments de travail. Cette réappropriation du patrimoine est bien présente dans cette exposition, sous des formes diverses, parfois discrètes mais indubitables.
Les artistes africains contemporains constituent une ressource précieuse pour leur continent dans la mesure ou ils tracent une voie aux nouvelles générations, naturellement fascinées par la modernité et parfois par ce qui en tient lieu et en délicatesse ou difficulté par rapport à leur patrimoine culturel dont ils n’ont connu souvent que des succédanés ou qui leur a été transmis de manière figée et peu didactique. Pour autant, la « leçon » que nous apporte l’art contemporain africain ne vaut pas seulement pour la jeunesse. Elle concerne tous les pans des sociétés africaines ainsi que ses élites en soulignant en creux l’enjeu considérable de la bataille du continent pour la modernité, une bataille qu’il doit en outre mener en affrontant tant d’autres adversités.
L’enthousiasme des nouveaux créateurs africains, la liberté de leurs visions, leur appartenance affirmée apparaissent dés lors comme des messages qui, de plus, ont le bénéfice d’une esthétique qui s’adresse aussi au regard, vecteur primordial de la culture. En fait, ils sont la pour nous dire en quelque sorte que « Africa is beautiful » mais aussi que « Africa is possible ! » et, enfin, qu’au panafricain 2009, « Africa is back » !.