
Manières de vivre, relectures – Ways of life, reconsideration-
Editeur : MAMA éditions
Date de parution: 2009
Nombre de pages: 88
Langue : Arabe - Français - Anglais
Dans toutes les parties de l’Afrique, les communautés traditionnelles, parfaitement indépendantes économiquement, produisaient elles-mêmes les objets dont elles avaient besoin. Ces objets, nous les connaissons pour les avoir vus, çà et là, encore fabriqués et utilisées mais, pour la plupart d’ente eux, visibles seulement dans les vitrines des musées occidentaux, les pages des livres d’histoire ou les étals des artisans. Différents d’une région à une autre du continent, voire d’un village à l’autre, ils avaient pourtant les mêmes principes de conception et de fabrication.
Tous utilisaient les matériaux locaux, ce qui introduisait un facteur de différenciation selon les environnements naturels qui entouraient les communautés : la géologie, la flore, la faune aussi pour ce qui avait trait des cuirs, laines et autres matériaux à base animale. Tous répondaient à des besoins parfaitement identifiés, parfois multiples pour un seul objet ou instrument, et s’inscrivaient dans la quotidienneté. Tous devaient être adaptés aux conditions de leur usage comme répondre à des critères de solidité, de durabilité, de maniabilité et de fonctionnalité. Tous enfin étaient traités pour recevoir dans les formes utiles des éléments de décoration propres aux cultures des communautés qui les fabriquaient, souvent des symboles qui signifiaient selon des codes esthétiques établis, des messages ou des valeurs.
Ainsi naissaient les instruments de chasse, de pêche, d’agriculture, de la vie domestique et des rites divers. Les arcs devaient répondre à des coefficients de tension particuliers selon les gibiers recherchés. Les flèches se devaient d’épouser les règles de l’aérodynamisme. Les poteries étaient faites pour disposer d’une certaine porosité qui conservait la fraîcheur de l’eau ou, au contraire, cuites à hautes températures pour résister au feu des cuissons. On pourrait ainsi multiplier les exemples pour en conclure qu’avant même que le design ne naisse en Occident, nos ancêtres en connaissaient- sans les formuler sans doute- les principes, les méthodes et les aboutissements.
De ce point de vue, l’artisanat d’aujourd’hui, dont les produits ne servent plus surtout qu’au tourisme ou à la décoration, provient en fait d’un savoir-faire qui portait en lui ce qui va engendrer le design. Il répondait en effet aux mêmes règles et présupposés, sauf sur deux points notables. Le premier est que la fabrication d’objets usuels dans nos anciennes communautés ne connaissait pas la reproduction en séries qui a accompagné l’ère de la révolution industrielle. Chaque œuvre était unique et, sans division technique du travail, chaque famille, clan ou tribu était capable de pouvoir à ses besoins. Le deuxième point de différence est que nos ancêtres, s’ils ignoraient le concept de design en le pratiquant, ignoraient autant celui de développement durable. Pourtant, chacun de leurs gestes et chacun des objets qui en découlait respectait parfaitement le milieu naturel. Nos ancêtres étaient déjà « verts ».
La démarche de la présente exposition qui propose une relecture « des manières dont le design africain est vécu » mérite d’être encouragée dans cette réflexion. Elle nous montre et nous apprend que certains designers du continent se sont engagés dans une voie radicalement nouvelle au regard des préceptes dominants du design actuel. Ils rompent en effet avec le diktat de l’industrie et crée autour d’eux des réseaux d’artisans qui dupliquent leurs créations. Dans cette formidable entreprise de renouvellement du design, ils s’allient à l’artisanat en lui procurant des ressources à même de le vivifier à la fois économiquement et culturellement.
Cela n’est pas exempt d’interrogations sur la préservation et la mise en valeur du patrimoine immatériel mais l’on peut supposer que cette nouvelle démarche suscitera une telle dynamique que certains artisans se spécialiseraient dans la fabrication de créations de designers tandis que d’autres continueraient à exercer dans la « reproduction de l’héritage ». Les deux ne sont pas opposables au demeurant et peuvent donner lieu, en revanche, à des complémentarités et des synergies.
De même, il convient de ne pas exclure totalement l’éventualité de manufacturer certaines créations de designers africains car, la satisfaction des besoins de populations importantes, mérite aussi une telle approche.