Art et engagement
Date de parution: 2008
ISBN: 978-9947-0-2075-3
Dépôt Légal: 151-2008
Nombre de pages: 112
Langue : Français
“ La politique est une science et un art, donc intimement lies”, aimait à répéter Abdelhamid Benzine, dans le cercle familial, souvent élargi aux amis. Il avait cette réflexion pour tout sujet de discussions politiques et culturelles : « ce n’est jamais noir ou blanc, c’est entre ces deux couleurs ».
Pour le colloque, à l’occasion de la quatrième commémoration du décès de Abdelhamid Benzine, le thème choisi « art et engagement » n’est donc pas fortuit car les problèmes relatifs à la culture, qu’il liait à la lutte politique, lui étaient chers comme ils l’étaient pour tous ceux et celles qui partageaient ses idées ».
Dans son allocution d’ouverture, Ahmed Akkache, son ami de toujours dans la vie et le combat, rappelle l’importance du rôle de l’artiste dans la société : « l’artiste, l’intellectuel en général, peut-il être neutre ? … L’artiste peut-il être neutre, non pas seulement en tant qu’individu dans la société, mais aussi et surtout en tant que créateur. Doit-il se limiter à des préoccupations d’ordre esthétique ou s’engager ou contraire dans le mouvement social, pour éveiller, pour émouvoir et contribuer ainsi, dans les formes qui lui sont propres, au progrès humain ? ».
Ces questions qu’il pose et qui ouvrent le champ à des débats cruciaux et riches, vont traverser en filigrane toutes les interventions des participants qui vont tenter d’en cerner les particularités dans différentes formes d’art, arts plastiques, cinéma, littérature, musique.
Ainsi « l’art est un engagement, va affirmer Nadira Laggoune-Aklouche, et être artiste, c’est déjà être engagé : par rapport à soi et par rapport au monde dans lequel il vit ; tout le monde ou presque est bien d’accord, et depuis longtemps sur cette affirmation.
L’artiste est impliqué dans son époque et ses enjeux fondamentaux, autrement, il renierait une partie de son statut particulier dans la société ».
Ce que va confirmer Jean-Pierre Lledo, pour lequel il n’y a pas de doute, parler « d’art et d’engagement » est un pléonasme, car « l’art est engagement ou n’est pas ».
L’engagement artistique n’est pas un acte isolé, il est, comme l’art lui-même, déterminé par toute les formes de la conscience sociale et de ce point de vue, l’engagement est aussi celui du relationnel constamment produit par le champ immense de la vie quotidienne.
« questionner l’acte artistique dans ce champ problématique, note Florence Morali, c’est accorder à toute esthétique sa dimension politique au sens ou rien n’échappe au politique…l’art pille la rue et la rue ne cesse de reprendre à l’art ce que l’art lui restitue après l’avoir transformé dans un éternel va-et-vient ». Et d’ajouter : « enfin si l’art apporte incontestablement à la politique ce que le langage politique à force d’usure et d’institutionnalisation ne parvient plus à véhiculer, c’est parce qu’il le fait avec patience et qu’il s’adresse avec poésie au public concerné ».
Il est évident que l’engagement ne peut être confondu avec embrigadement et qu’il n’est d’engagement que celui qui résulte du choix libre d’un idéal.
Cet aspect est, pour Mustapha Benfodil, au cœur de la question de l’engagement : « pour moi, l’idée centrale de l’engagement, c’est la liberté. C’est la liberté de la société par rapport au pouvoir politique, d’un peuple par rapport à une force d’occupation, par rapport à la dictature du marché… »
En effet, sans liberté point d’émancipation, point de développement et surtout point de création ; c’est elle qui a guidé toutes les luttes pour l’indépendance hier et celles d’aujourd’hui pour réaliser le rêve de démocratie des jeunes nations.
Rachida Triki va insister sur ce point, affirmant que « l’émancipation démocratique de la société peut être dynamisée par le biais des processus créateurs dans les arts, et notamment dans les arts plastiques, ou le potentiel culturel des uns et des autres est susceptible de devenir une force qui rende la société créative, parce qu’ouverte à l’altérité. L’éthique communicationnelle y serait renforcée par une poïétique relationnelle ». Ainsi, elle confirme le lien étroit entre la création et la démocratie : « c’est pourquoi la capacité de vie démocratique saisie dans sa dimension culturelle pourrait se juger à ses potentialités de création, d’invention et de renouvellement. Plus une culture considérée comme organisme créateur est capable de vivre de sa critique, plus elle est traversée d’une éthique ou la tolérance et le respect de l’autre constituent des valeurs indispensables au développement de la société civile ».
En fait, l’engagement est présent déjà à l’origine de l’acte créateur puisque l’art nait des pratiques sociales, des événements et faits sociaux et qu’il ne peut y avoir d’art que celui qui exprime des réalités ; la musique algérienne en est un exemple parfait que Brahim Hadj Slimane va développer en soulignant l’impact et la force qu’elle peut avoir sur les prises de conscience et les actions de revendication : « à partir de son retour au début des années 70, Kateb Yacine a inauguré la musique de contestation directe. Son héritier direct sera le groupe Debza, dont il sera d’ailleurs le parrain et le soutien. Mais aussi, étant donné par ailleurs ses prises de position en faveur du tamazight et de l’arabe populaire, on peut voir en lui un catalyseur indirect de la chanson contestataire Kabyle ». il ajoute « … en matière de musique et plus largement artistique, l’engagement peut prendre plusieurs formes, à la fois sur un plan universel et dans le contexte d’une société donnée, selon l’histoire , les spécificités et le degré d’émancipation de celle-ci. Il peut contester l’ordre établi et le pouvoir, mais aussi le servir et s’en faire le porte-parole d’une idéologie et d’une politique ».
Mais l’engagement, aujourd’hui, reste une option délicate pour l’artiste ; souvent séduit par le spectaculaire ou le commercial, mû par le besoin de plaire à l’institution, par besoin vital ou par compromission, l’artiste reste frileux et hésitant quand il faut se déterminer par rapport au réel.
Amine Khaled en parle sans détours : « a chaque événement, qui souvent détourne tout dialogue direct entre les artistes et leur société, à l’exemple de l’année de l’Algérie en France en 2003 ou Alger capitale de la culture arabe en 2007, les hauts responsables puisent dans la même besace un même discours : contre l’adhésion des artistes, promesse est donnée que l’évènement sera une occasion de relancer la vie culturelle. Une telle méconnaissance de l’essence même d’une vie culturelle continue et durable, appuyée d’une bonne dose de cynisme politique, ne fait pas mouche parmi la communauté artistique. Pas le moindre signe de résistance…il est à se demander si un mouvement culturel authentique, assumant la diversité du pays, puisse avoir lieu au sein d’un climat qui tire davantage vers la confirmation d’une domination politique qui ne fait que trop durer ». Et c’est par cette affirmation qu’il conclut tout le propos : « car l’engagement, quand il n’est pas entier, devient un engagement pour le confort intellectuel. Et c’est dans ce confort que ce nichent les dispositions à la compromission.la sainte image de l’artiste commence alors à s’entacher… »
On aura beau l’éviter, le débat autour de l’engagement, à l’heure d’aujourd’hui ou l’actualité nous interpelle constamment, est toujours présent. Riche de ces controverses apportées par tous les intervenants, qui demeurent des idées personnelles, ne rejoignant pas forcément celles de Abdelhamid Benzine, il est loin d’être clos. Il ne le sera jamais.